Les crises de l’eau se succèdent été comme hiver, et pourtant le rythme du renouvellement des réseaux d’eau potable en France n’est toujours pas à la hauteur des enjeux. Financement des travaux, prix de l’eau, méconnaissance des enjeux et impacts dans un contexte de sobriété hydrique, dans cette nouvelle économie de l’eau, c’est notamment d’adaptation dont il a été question lors de la table ronde organisée par les Canalisateurs sur le salon Pollutec.
Pour remettre en état les réseaux d’eau potable, les acteurs de l’eau estiment qu’il faudrait investir 2 milliards d’euros. L’enveloppe de 180 millions annoncée par le Plan eau du gouvernement ne suffira donc pas à financer les travaux, ce qui pousse les collectivités et gestionnaires à trouver un nouveau modèle de financement. Quels coûts ? Mais aussi, quelles solutions pour y arriver ? La table ronde organisée par Les Canalisateurs lors du salon Pollutec a donné l’occasion de donner les pistes. Pierre Rampa, président des Canalisateurs, a ainsi rappelé que « les crises de l’eau ont un coût mais aussi, des impacts ».
Engagés dans une gestion durable de l’eau depuis de nombreuses années, les Canalisateurs proposent d’ailleurs un support, le Livret Bleu, qui présente les clés et engagements de la profession pour faire face à la crise de l’eau en France. Renforcement de la connaissance du patrimoine pour mieux cibler les investissements, amélioration de la performance des réseaux pour une gestion économe de l’eau, réutilisation de l’eau pour économiser la ressource naturelle, protection de la ressource pour préserver les sols et la biodiversité, … sont autant de pistes à suivre pour s’adapter au stress hydrique.
Entretenir le patrimoine
Rappeler les chiffres permet une meilleure compréhension de la situation. Les fuites d’eau sur les réseaux représentent chaque année en France 1 milliard de m3 d’eau. Une eau pompée, traitée et payée, qui est perdue dans la nature, alors que parallèlement, on doit désormais insister sur la sobriété hydrique. 0,67 %, c’est le taux moyen actuel de renouvellement des réseaux. À ce rythme, il faudra 160 ans pour renouveler toutes les canalisations, dont la durée de vie est de 70 ans. Sans compter que le coût des aléas naturels continuera de croitre au rythme d’un doublement tous les 30 ans (1). Aujourd’hui, la quantité en eau renouvelable disponible accuse une baisse de -14 %, passée de 229 à 197 milliards de m3 entre les périodes 1990-2001 et 2002-2018 (2). « Pour moi, ces chiffres évoquent l’importance de partager l’eau et d’en prendre soin par l’entretien de son patrimoine, a commenté Pierre Rampa. Il convient de sécuriser ce partage de l’eau, grâce aux interconnexions et la solidarité́ territoriale. Celle-ci est d’ailleurs renforcée par la loi NOTRe et les Schémas Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux SDAGE, pour maintenir l’alimentation en eau potable, continuer à assurer la sécurité́ incendie, faire face à̀ une pollution et sauvegarder tous les autres usages. »
La sobriété hydrique, à tous les niveaux
L’intervention de Justine Le Floch, doctorante à l’IAE Paris Sorbonne également invitée à la table ronde en tant que co-autrice d’une étude sur les modèles de financement des économies d’eau pour les services publics d’eau et d’assainissement (3),a mis à jour certaines réalités. « La sobriété hydrique est la conjugaison de 3 facteurs, la préservation de la quantité́ et de la qualité́ de la ressource, le rendement du réseau et la baisse de la consommation, explique-t-elle. Mais dans cette sobriété hydrique, il y a également un double enjeu. Celui de la baisse des recettes et de la raréfaction de la ressource. « La sobriété hydrique va entrainer une augmentation des coûts d’exploitation alors même que les recettes vont baisser, à prix et population constante. L’équilibre de l’équation est complexe, mais possible ! », assure-t-elle.
Quel impact sur le modèle économique ?
Dans son étude, la doctorante interroge l’adaptation du modèle économique au contexte de sobriété reposant sur des coûts fixes et sur des recettes assises sur les volumes consommés.Menée auprès de 9 000 gestionnaires de services publics d’eau et d’assainissement, l’étude a obtenu un taux de réponse de 5 %, soit au total 486 réponses pour 686 services concernés. À la question : « Pensez-vous que plus de sobriété hydrique et augmentation des coûts des services d’eau vont de pair ? » Les réponses sont aussi des pistes pour comprendre les difficultés. « 47 % des répondants considèrent que les deux ne vont pas nécessairement de pair.42 % des collectivités interrogées considéraient que les enjeux de sobriété hydrique n’étaient pas d’actualité. 25 % des collectivités pensent que le prix de l’eau pourrait être augmenté de manière significative (de plus de 10 %) pour financer la transition vers la sobriété hydrique », a relayé Justine Le Floch. Des résultats plutôt surprenants qui interrogent également Pierre Rampa et Vincent Ponzetto, directeur général de la régie Eau d’Azur sur le besoin d’accompagnement des gestionnaires.
L’exemple de la Métropole Nice Côte d’Azur
Depuis 10 ans, la Métropole s’est fortement engagée dans cette démarche de sobriété hydrique. Le territoire géré par la régie Eau d’Azur compte 51 communes et voit chaque année sa consommation bondir de 30% de juin à septembre. Elle investit chaque année 1/3 de ses recettes, soit 60 millions d’euros, dans différentes mesures et actions pour améliorer son rendement et préserver les ressources. La réparation des fuites et le renouvellement des réseaux (un taux de 1,6 %) suivent un rythme soutenu que s’est imposé la régie. Mais pour Vincent Ponzetto, cela passe également par la maîtrise de la consommation établie par segmentation de la clientèle (83,9 % des clients consomment en moyenne 68 m3/an).
La régie va également cibler les actions en fonction des usages en engageant des actions spécifiques par segments de client dès 2024. La sobriété hydrique passe également par la déduction des prélèvements, notamment en optimisant la consommation des eaux dans le fonctionnement des usines (réduction de 3 % soit 2 Mm3/an des volumes prélevés), mais également par la mise en place de process visant à réutiliser plus largement les eaux usées après traitement (REUT).
Réduire les fuites, maîtriser la consommation et réduire les prélèvements, sont ainsi les 3 axes de la politique de l’eau menée par la régie. « La réduction des volumes prélevés de 2014 à 2032 en réduisant les fuites et les prélèvements et en maîtrisant la consommation devrait permettre une économie de 38 millions de m3 par an », a souligné Vincent Ponzetto.